Portrait - Solipse

Première consigne : décrire une photo de nous d'enfance ou de vacances :
Il devait y avoir quelque chose dans son regard qui m'a plu. Enfin son regard, sa façon de sautiller un peu partout comme un petit animal sauvage et d'être curieuse et avenante avec moi. Nous ne parlions pas la même langue mais c'était tout comme, cela obligeait justement à être expressifs, à faire des gestes improvisés et de petits bruits qui imageaient à la perfection comment nous étions à l'intérieur. Nous avons fait les fous sur des jeux d'enfant, couru sur la plage, faisions comme si nous étions perdus dans les bosquets d'arbustes de la garrigue et goutions à des plantes inconnues. Il n'y avait rien de très bon mais après cela les cacahuètes enrobées de caramel n'en paraissaient que meilleures.
Mes parents ont voulu nous prendre en photo avec un polaroid pour se souvenir de cette rencontre fugace. Nous avions quatre ans, je n'ai plus aucun souvenir de ma première amie, mis à part cette photo.

Deuxième consigne : des tableaux accrochés à un mur s'ouvrent à une discussion ou monologue d'un tableau :
Le séjour en forme de L est bercé par la lumière ténue de couchant . L'atmosphère est calme et pourtant pesante de part l'obscurité qui s'installe. Soudain une voix saccadée rompt le silence :
- À quoi sert-on, je vous le demande ?
Le bruit semble venir du mur est dans le recoin de la pièce. À côté d'une bibliothèque est accroché un portrait d'un homme aux traits saillants, ses rides profondes, sa coiffure dans tous les sens lui donnent un air sérieux. C'est un personnage austère, un peu névrosé sans doute.
- C'est toi Yves-Marie ?
Entend on a nouveau, mais provenant de l'autre bout de la pièce cette fois-ci, là où est accroché un autre tableau représentant une forêt parcourue d'un sentier. Dans un des arbres on peut voir une jeune femme assise à une branche qui laisse tomber une à une les fleurs d'un bouquet. La voix était ténue et très mélodique.
- Qui veux-tu que cela soit, Angélique, l'autre punk de l'affiche ?
- Arrête de me traiter de punk, le grabataire, et apprends ce que ça veut dire, après tu pourras tenir tous les discours stériles que tu voudras...
En face du premier portrait il y a un poster de Brad Pitt tenant un savon rose à la main.
- Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi, le morveux, et n'ai que faire de tes sermons de petit rebelle de pacotille. Si tu avais une once de profondeur, tu saurais ne serait-ce de quoi je veux parler.
- Tu crois te donner de la consistance avec tes réflexions grandiloquentes, tu passes ton temps à faire tourner en rond dans ton crâne aplati deux ou trois conceptions métaphysiques qui te trottent par la tête mais ça ne t'empêche pas le moins du monde de croire que tu as de l'esprit. Tu vois c'est ça que j'aime chez toi, ta capacité à fondre dans ton personnage alors que tu n'en as pas le moindre mérite.
- Oh, non messieurs, assez de vos combats de coq ! Je m'ennuie déjà assez comme ça mais si vous rajoutez vos commérages enrichis en testostérone moi je me pends à ma branche en tressant mes fleurs pour en faire une corde.
- Ne le prends pas comme ça voyons, nous ne venons pas du même monde. C'est impossible de faire en sorte qu'on s'accorde en quoi que ce soit. Mais pour moi ce n'est pas une raison pour me taire.
- Et malgré ta tête décrépie ça semble bien parti pour durer. Si je te donnais une réponse à ta question tu la mettrais en veilleuse 5 minutes ? Écoute, rien n'a d'importance et rien n'est prémédité dans ce monde alors fait toi une raison, on ne sert à rien que l'on puisse prédire avant même d'avoir servi.
- Moi, Chantale aime bien me regarder pendant ces phases de méditation, je crois que ça la détend.
- La forêt, la forêt aussi sans doute. Même si je n'ai jamais vu celle-ci, se représenter la nature sous ses côtés les plus majestueux, cela évoque un sentiment humble et serein.