Julie

De sa bouche gourmande, de ses joues pleines, Julie sourit au soleil qui lui chauffe les épaules pour la première fois de l'année. Elle frotte avec délices ses pieds sur le bois tiède et lisse de la terrasse. Elle contemple d'un oeil neuf le paysage familier, comme si on venait de le ramener là, passé l'hiver. Des prés avec leurs pommiers, un chemin creux, un petit bois tout vert, des monts à l'horizon : banal, mais irremplaçable.
Sur la table en acacia, un petit déjeuner comme dans ces publicités pour la famille modèle ; jus de pamplemousse rose, tartines grillées, beurre, confiture de cerises, un grand bol de café. A la notable différence qu'au lieu d'être exhibé à la télé, ce petit déjeuner est le sien. Elle prend le verre de jus de pamplemousse, en boit une gorgée ; il est bien réel.
Malgré le calme, le soleil et toute la maîtrise qu'elle a sur les différents éléments de son bonheur, Julie ne peut s'empêcher de remarquer comme une pointe d'âpreté dans sa façon d'en jouir. La nonchalance avec laquelle sa main se saisit d'une tartine est indéniablement calculée. Ce matin, Julie dispose de quarante-cinq minutes pour profiter de sa terrasse, qu'elle se revoit encore choisir avec Laurent dans les pages chères du catalogue.
Quarante-cinq minutes ; elle a tout son temps. Elle serait bien bête de ne pas en profiter. Elle se fait même un devoir d'en profiter. C'est bien le problème.