Coupure - Adrien'

D'abord la plaie reste nette, béant à vide. Un instant trop bref pour être sûr d'avoir bien vu, assez long pour commencer à croire que le sang ne viendra pas ; le voilà qui sourd, recouvre rapidement l'entaille, l'emplit, en déborde. Jamais assez rouge, toujours un peu à côté de cette teinte : rouge sang, qu'on imagine intense à vous rester dans la bouche.

Il coule maintenant, rompant la fascination. Il veut se laisser choir sur le sol ; il franchit l'obstacle de l'autre main, tenue en coupe sous le doigt, au moment où le coupé s'empare maladroitement d'un mouchoir. De surprise, le doigt s'égare et sème deux, trois, quatre grosses gouttes qui s'écrasent sur le plancher, auréolées de minuscules éclaboussures.

Le coupé fabrique une poupée pour son doigt. Ce n'est pas vraiment difficile, mais il s'y reprend à plusieurs fois ; le deuxième essai est pire que le premier. Finalement ça tient. Il met du sparadrap, considère son index emmailloté, vérifie qu'il plie. Les gouttes ont commencé à sécher. Au premier passage de l'éponge, elles laissent de petits anneaux parfaitement circulaires. Bientôt il n'en reste plus trace.

Un peu plus tard le doigt glisse hors de sa poupée, découvrant une simple ligne brune. Pris d'une légère mais inavouable déception, le coupé se laisse envahir un instant par des réminiscences de ses meilleurs bobos. Puis il passe à autre chose, tandis que le doigt s'affaire à reprendre sa forme interrompue.