Agnès

Une bille roula sur la table, tomba et vrombit encore sur le plancher, avant de s'arrêter, « Toc ! » contre une valise qu'on apercevait sous le lit. Le damné silence daigna revenir, mais pas le calme. Ce trouillard avait fui pour quelques cris. Il boudait à présent dans les hautes herbes, à cent mètres de la baraque, juste parce que cette remarque sur les œufs vibrait de hargne.
Agnès sentait la chaleur de ses joues réchauffer l'air autour. Elle chatouilla de la langue un lambeau de sa gencive. Ce truc se décollait, décidément. Ses dents prêtes à tomber une par une, son sourire bousillé ; L'idée lui flanquait la trouille, mais elle ne les brossait pas pour autant deux fois par jour.
Elle eut envie de le faire. Le moment était saugrenu, l'autre allait sans doute encore interpréter ça comme une provocation ; elle chercha quelques instants le message qu'il pourrait y voir. « Tu m'agaces les dents ? » « Le dentifrice a meilleur goût que tes paroles aigres ? »
Elle tourna la tête et le calme était là, assis dans un coin de la pièce. Il fixait la bille tapie sous le lit comme une souris morte. Ok, lâcha-t-elle pour elle-même. Elle se leva, ramassa la bille, la glissa dans sa poche -pour la ranger plus tard, essaya-t-elle de croire- et partit se brosser les dents.